Nous voilà arrivées sur l’île qui nourrit tant d’imaginaires : Cuba et ses murs colorés, ses belles voitures, ses airs de salsa dans les rues… Ça y est, nous y sommes et nous découvrons doucement cette nouvelle ambiance, cette chaleur latine. Nous essayons de comprendre l’histoire de ce pays communiste, et le fonctionnement de cette île qui a su se développer en huit clos. C’est d’ailleurs en partie pour ça que nous avons décidé de venir y passer un mois. En plus des couleurs et de l’ambiance tropicale, nous souhaitons découvrir d’éventuelles initiatives locales et circulaires que le pays a certainement dû mettre en place pour continuer de vivre, coupé du monde. Mais tout ça, il va falloir qu’on le trouve au fur et à mesure, sur place. Cuba n’est pas (encore) en phase avec le monde Internet, nous n’avons donc pas trouvé de premier contact avant notre arrivée.
Après une journée à arpenter les rues de La Havane, à s’émerveiller devant chaque mur et chaque voiture, nous sommes vite parties vers l’ouest, à Viñales. On nous avait promis une toute petite ville, de la nature et des producteurs de tabac et de café. On ne nous a pas menti ! Et ça nous a tellement plu de voir ces petits producteurs au milieu d’un si beau paysage, qu’on a voulu vous en parler un peu plus…
Après tout, ça fait une belle introduction à ce périple insulaire !
La région de Viñales
À l’ouest de l’île, la Valle de Viñales est connue pour sa nature foisonnante. Elle est même classée patrimoine mondial de l’UNESCO, avec ses mogotes (petites montagnes de chaux) qui découpent le paysage et rythment les cartes. Viñales est une petite ville au milieu de grandes étendues vertes. Elle vous accueille de toutes ses couleurs. On ne sait pas lesquels des murs ou des fleurs colorent le plus le paysage.
Il y a quelques restaurants et cafés, des casas particulares où des hôtes vous accueillent chaleureusement, et ce qui fait la vie d’un village : une boulangerie, une supérette, une école…
Entre les voitures américaines des années 1950, nous croisons des vélos, quelques motos, et des cowboys à cheval ! L’île a si peu de voitures qu’il faut bien trouver d’autres moyens de se déplacer.
Nous déambulons un peu au milieu des maisons, humons avec délice l’air chaud et humide que nous avions laissé en Afrique, puis partons vers la cambrousse environnante. Et c’est là que nous découvrons ce qui fait vivre cette région (en plus du tourisme, il faut bien l’avouer) : la culture du tabac, et celle du café.
La production de tabac et la culture du cigare
Nous rencontrons Raúl qui est producteur de cigares. Il fait pousser le tabac et le transforme. Il nous raconte qu’il a construit son séchoir, sa maison et la maison voisine qui lui sert de maison d’hôtes. En plus de cela, il s’occupe de la petite ferme, et du champ dans lequel il fait pousser du maïs et du tabac. Un sacré emploi du temps ! Heureusement, on rencontre plein de petites mains qui semblent s’affairer à l’accueil des visiteurs et à la ferme. C’est un travail de groupe !
Il nous raconte comment fonctionne la production de tabac, avec sa voix roque d’amoureux des cigares.
D’abord, il plante le tabac entre septembre et décembre. Ensuite, il le récolte entre février et mars. Pour mieux nous expliquer la suite du procédé, il nous emmène en direction d’une grosse montagne de poils. Mais cet animal s’avère être le séchoir, et nous restons un moment à admirer son allure. C’est une maisonnette pointue, assez typique dans le coin, faite de feuilles de palme.
Les feuilles de tabac encore vertes après la récolte, sont rassemblées en petits bouquets par la tige puis suspendues pendant trois mois à l’intérieur. Elles brunissent et sont ensuite regroupées en grosse balles. À ce moment-là, il faut se séparer de 90% de la production, pour la vendre au gouvernement. Comme le sucre et rhum, le tabac est une denrée nationale qui se vend et s’exporte à foison. Alors, pour ces trois produits, le gouvernement achète 90% de la production pour ensuite le revendre sous la forme conventionnelle des grandes marques que l’on connaît.
Ensuite, Raúl s’occupe donc des 10% qui lui restent. Il fait macérer les feuilles dans de l’eau avec du miel et de la cannelle. La fermentation dure plus d’un mois. C’est le moment où les feuilles se parfument. Sous son chapeau de cowboy, il nous confie qu’il ne produit pas lui-même le miel, parce qu’il a peur des piqûres d’abeilles.
Habitué à s’adresser à des non-initiés, il nous fait une petite démonstration de préparation de cigares. Il enlève le nerf principal de chaque feuille de tabac qui contient à lui seul 60% de la nicotine de la feuille. Avec, ce serait trop fort ; il faut se contenter des 40% restants, contenus dans les autres petites nervures ! Il rassemble des feuilles en long, et les enroule d’une dernière feuille en biais. Ce geste est précis, c’est le geste d’un artisan qui a des années de métier. Il faut attendre trois jours pour que le cigare soit bien sec et bon à consommer. En attendant, Raul ferme l’extrémité du cigare en lui faisant une petite queue en tire-bouchon. Dans trois jours, il la coupera pour appliquer un tout petit bout de feuille, collé à la colle végétale faite maison.
Pour nous faire déguster, il applique un peu de miel sur le bout du cigare. Et cette idée gourmande nous plaît bien !
Pour vendre ses cigares, il les regroupe par dix dans une feuille de palme. Ce packaging solide et biodégradable nous séduit, bien évidemment !
La production de café
Le jour suivant, sur nos petites bicyclettes de location, nous sommes hélées par un homme qui nous parle en espagnol et en anglais depuis sa maison rose. Nous sommes à une intersection entre deux chemins boueux ; nous avions décidées de rejoindre un lac dans les environs. Il fait très chaud, et cet homme, après nous avoir indiqué la route à suivre, nous propose un arrêt avec explications de son activité et dégustation de café. Parfait, une pause à l’ombre est exactement ce qu’il nous faut !
Il se fait notre guide anglophone, ce qui nous enchante toutes les deux. Nous entrons dans le grand jardin de la maison rose, qui donne sur un autre jardin à perte de vue, la Valle de Viñales. Le paysage est magnifique. Il nous explique que le titre Patrimoine Mondial de l’UNESCO donné à la Valle de Viñales oblige les producteurs du parc à n’utiliser aucun produit synthétique et aucune machine. Tout est manuel et biologique ! Nous sommes ravies de savoir que la nature est protégée ici, et sommes en même temps perplexes de reconnaître que c’est seulement dû à la contrainte des règles de l’UNESCO. Cet environnement-là est donc plus légitime à être respecté aux yeux des lois mondiales qu’un quelconque bout des Landes où on produit du maïs à coup de pesticides…
Ici, donc, on produit du café à la main, et ça nous plaît. Le caféier a besoin d’ombre et d’humidité pour pousser. L’humidité, ça ne manque pas dans la région, c’est bon. Pour l’ombre, il faut s’éloigner un peu de la maison. Les arbres sont plantés à flan de montagnes, dans la Valle.
Les fruits verts deviennent jaunes puis rouges. À ce moment, on les cueillent, entre septembre et décembre. On les fait ensuite sécher dans une boîte en bois et en taule, dans le jardin. C’est pendant ce temps-là que le cœur de la graine s’imprègne du parfum de la petite coque. Dans beaucoup d’autres pays, on passe les graines au pilon avant de les faire sécher. Ici, les producteurs font l’inverse pour garder au mieux l’arôme entier du café.
Ici aussi, une partie est vendue à l’état. Seulement 25%, parce que le café ne fait pas partie des trois premières denrées de Cuba. Les 75% restants appartiennent au producteur ; il continue de les travailler pour ensuite les vendre ou les échanger avec d’autres produits chez des producteurs voisins. Le troc fonctionne bien dans la région !
Les graines séchées qui restent chez le producteur passent au pilon. S’ensuit alors un savoir-faire manuel artisanal pour détacher l’enveloppe brune des graines de café. Elles sont d’abord frappées au pilon dans le mortier. Puis, pour enlever ces petits déchets du mortier, c’est la coopération entre la main de l’artisan et le vent qui opère. Ces petits bouts organiques s’envolent des doigts du producteur et repartent nourrir le sol.
Enfin, pour torréfier les graines de café, les producteurs utilisent de belles petites marmites dans le jardin. De quoi donner envie à n’importe quelle sorcière en herbe (ou teinturière)…
Voir ces artisans manier leurs outils et leur matière première nous a rappelé la dextérité que demandent ces savoir-faire transmis depuis des générations. Que ce soit dans la production de miel en Côte d’Ivoire, dans le tissage au Burkina Faso ou dans la teinture en Inde, les savoir-faire traditionnels ont tous en commun la maîtrise de gestes précis et l’amour des choses bien faites.
Et parler avec ces producteurs cubains nous a permis de lever tout doucement le voile sur le fonctionnement de l’île. Le tabac, le café, le rhum, le sucre, et les médecins, sont leur richesse et ce qu’ils offrent au monde extérieur.
Laurent Desvaux
Super reportage ! Bravo
ISABELLE DUCHAMP
Merci pour ce bel article illustré de magnifiques photos !
On a juste envie de sentir les parfums, les arômes et la fumée du cigare 😉
Bravo et continuez.