Notre séjour en Indonésie a commencé par de chaleureuses retrouvailles avec nos amies Laura et Morgane. Rencontrées pendant nos études de design, nos points communs seraient trop longs à énumérer, mais pour n’en citer que deux : l’amour de l’aventure et nos engagements écologiques. Alors, quand nous avons su que nos routes allaient se croiser en Indonésie, il était évident que nous continurions nos rencontres de profesionnels inspirants ensemble. C’est ainsi que nous avons été amenées à découvrir Ijen, un restaurant zéro-déchet au sein d’un beach club de Potato Head à Bali. Nous y avons rencontré Scott, le directeur du secteur durabilité de Potato Head, qui nous a expliqué comment et pourquoi la durabilité doit être une évidence au sein de lieux comme celui-ci. Nous avons aussi découvert leur projet du « Sustainism Lab » qui, à la manière d’un Fab Lab, ne cesse d’innover et de sensibiliser les gens au zéro-déchet et à l’upcycling.
Au coeur d’un beach club branché à Bali
Au moment où nous descendons de notre taxi, le décor est dressé ; une longue allée avec quelques magasins branchés nous amène vers le bâtiment principal. L’architecture du lieu est superbe, légèrement impressionante. Plusieurs grandes installations mettent l’accent sur le recyclage dès l’entrée avec une immense vague faite en tongs en plastique rejetées par l’océan sur les plages balinaises, l’oeuvre « 5000 Lost Soles » est co-signée Liina Klauss x Potato Head. Et rapidement nous nous apercevons que la facade en bois est constituée de milliers de fenêtres et de volets recyclés.
En entrant dans le bâtiment principal, la musique électro bat son plein, il est midi et une centaine de personnes se prélassent déjà sur les transats ou sirotent des cocktails dans la piscine face à la mer. Le complexe donne sur la plage de Kuta, mais les vagues sont dangeureuses et beaucoup prefèrent se contenter de plonger leurs pieds dans l’eau douce et calme de la piscine. Autour du bassin, plusieurs bars et restaurants permettent aux clients de l’hôtel et aux visiteurs de la journée de boire et manger.
Aucune de nous n’est habituée à fréquenter ce type de club, mais nous le découvrons avec curiosité. Dans nos quatre têtes, une question ne tarde pas à se former : comment un restaurant zéro-déchet a-t-il fait sa place dans cet endroit ?
Le restaurant comme premier espace durable
Scott nous explique que le restaurant Ijen est une graine plantée dans ce complexe, qu’il veut faire germer et étendre aux autres espaces. C’est un espace d’expérimentations de propositions durables qui a déjà produit ses fruits. Car, oui, ce qui est mis en avant dans le discours de Scott, c’est bien le côté « successfull ». Il faut que tout cela soit rentable, et ici la durabilité n’exclut pas la rentabilité.
Il nous raconte ce qui fait du restaurant Ijen un restaurant durable. Et ainsi, les concepts que l’équipe tente petit à petit d’étendre au reste du beach club.
Le sourcing, c’est-à-dire la manière de choisir les produits utilisés, est leur première préoccupation. Tout est sourcé pour être 1) organique, sinon 2) réutilisable, et en dernier 3) recyclable si c’est vraiment nécessaire.
Recycler est bien mieux que jeter et brûler, certes, mais cela induit souvent une intervention avec industrie, machines, pétrole, déplacements… C’est pourquoi choisir un objet réutilisable est plus intéressant. Mais qui dit réutilisable peut dire produit en plastique, par exemple. Alors, choisir l’organique devient encore plus intéressant. L’organique, même s’il n’est pas réutilisable, est redonné à la terre, aux animaux, et reste une source d’énergie inépuisable.
Voilà leur stratégie de sourcing qu’ils appliquent à tout. Le mobilier est réalisé avec des designers, en bois et en gomme recyclée. Le choix aurait pu se faire sur des meubles totalement en bois pour le côté organique, mais quand certains déchets sont déjà produits, autant tenter de leur donner une deuxième vie. L’idée est surtout de ne pas produire d’autres déchets. Les verres sont faits avec des culs de bouteilles, les serviettes en coton sont réutilisables, les pailles sont en bambou.
Pour ce qui est de la nourriture, tous les restaurants du complexe se sont mis au pas et se fournissent chez des petits producteurs balinais. Légumes bio, viandes locales, pêche à la ligne durable, rien n’est laissé au hasard.
Quand on dit « zéro-déchet » on pense souvent qu’on ne jette rien du tout. Mais grâce à nos rencontres avec plusieurs structures qui utilisent cette expression, on a compris qu’il s’agit de réduire ses déchets et surtout de trier et recycler au maximum. L’idée est surtout de ne rien jeter à la décharge, de ne pas avoir de déchets destinés à l’incinération. Donc dans un établissement qui accueille du public et sert à manger, il s’agit de très bien trier les déchets « inévitables ». C’est pour cela qu’il y a à disposition des clients deux poubelles différentes, et pour le staff, sept poubelles bien distinctes.
Ainsi, tous les déchets organiques sont triés en fonction de leur nature. Certains sont compostables, d’autres serviront de nourriture pour les cochons, les poules… Les différents plastiques sont triés, le verre et les métaux aussi.
Un Beach Club comme zone d’expérimentation
Potatoe Head propose avant tout un lieu de détente, où le confort et l’amusement sont les mots d’ordre. Ici, on ne fait pas de compromis ; on propose les mêmes services que dans un autre club branché de bord de mer, en version durable.
On discute avec Scott de ce concept, qui est source de beaucoup de questionnements. Il nous explique que la position de l’équipe de Potatoe Head est très claire. Ils.elles ne reverront pas l’idée de confort, mais chercheront des alternatives durables pour proposer ce confort. Les clients continueront toujours de trouver autant de cocktails, de petits plats, une piscine, de la musique… bref tout ce qui fait un Beach club conventionnel. Mais, sans le savoir, ce qu’ils mangeront et buvront viendra de producteurs locaux, et tout aura été pensé pour être le plus durable possible. De gros investissements sur le long terme ont été faits, le système de ventilation a été revu pour dépenser très peu d’énergie, l’alimentation en eau de la piscine a été soumise à des conseillers en écologie… divers éléments dont les usagers ne se rendent pas compte, mais réduisant fortement l’impact environnemental du lieu.
L’idée est de proposer à un public non convaincu, touriste et local, un service équivalent à ce qu’ils connaissent, mais durable.
Changer les habitudes pour se tourner vers des solutions durables
Ce n’est pas la première rencontre qui nous ouvre les yeux sur le fait que convaincre des convaincus ne nous avancera pas très loin. Et proposer à un public de consommateurs.ices conventionnel.le.s des solutions durables pour accéder à leur confort, peut permettre d’ouvrir les esprits.
Mais peut-être que certains aspects de ce confort sont juste de trop ? Si personne ne les proposait, cela manquerait-il réellement à quelqu’un ? Parfois, on est persuadé qu’un service est important alors que les clients viennent pour une toute autre raison. Par exemple, quand vous allez manger un kebab, nous ne venez pas pour le Coca-Cola dans le frigo, à côté des jus. Vous venez pour le kebab. Et si le chef fait preuve d’audace en ne proposant que des jus de fruits, votre kebab n’en sera pas moins bon.
De la même manière, est-il vraiment utile d’avoir une pelouse sous les pieds pour passer une belle après-midi au bord de la mer ? Avant, à Potatoe Head, il y avait de la pelouse naturelle mais il fallait la changer régulièrement, abîmée par le pietinage incessant du public. Alors aujourd’hui la pelouse est en plastique. C’est bien réutilisable, mais c’est un produit en plastique qui risque de répendre des micro-particules dans le sol et sur les plages. Alors dans ce cas, on se dit que parfois, moins c’est mieux ; sans pelouse, les clients seraient sûrement tous aussi satisfaits de leur temps à Potatoe Head.
D’un autre point de vue, on peut imaginer que les clients à la recherche de lieux luxueux offrant tout confort (avec pelouse et autres installations) ont, grâce à Potatoe Head, une option de beach club qui réfléchit à la durabilité au milieu d’autres qui ne sont pas dans cette démarche.
Et on sait par expérience que pour accepter une idée qui change, le plus efficace reste de l’introduire petit à petit dans nos habitudes. Prenons l’exemple de l’oignon, incorporé discrètement dans nos pâtes à la crème quand on était petit, alors qu’on pensait détester ça. Cette technique a fait ses preuves. En s’appercevant qu’il y avait quelque chose d’inhabituel, et après avoir fait jouer sa mauvaise foi, on a fini par accepter que ce n’était pas si mauvais. Et hop, le nouveau concept « les oignons sont peut-être bons » commençait à germer dans notre petite tête.
C’est le parti pris de l’équipe durabilité de Potato Head, habituer petit à petit leurs clients à des solutions plus durables : pailles en bamboo, serviettes réutilisables, bouteilles en verre consignées, utilisation de gourdes, aliments bio… Dans l’espoir que ces critères durables deviennent les critères d’exigences de leurs clients dans leur choix de beach club.
Le Sustainism Lab
Pour aller plus loin dans son approche de structure durable, l’équipe a mis en place un laboratoire d’expérimentations, au sein même du club, le « Sustainism Lab ». On passe devant le labo vitré en entrant à Potatoe Head. On y voit des machines créatives, un établi, des chaises en matériaux inconnus…
Scott et Dewa Legawa, les éco-champions de Potato Head nous expliquent que ce lieu permet à l’équipe d’expérimenter, de produire, et d’enseigner.
Un des objectifs est de réinvestir et revaloriser les déchets engendrés par le Beach club, pour aller toujours plus loin dans le zéro déchet. Avec les machines imaginées par Precious Plastic, ils recyclent leur propre plastique, en créent de nouveaux objets. D’autres techniques sont essayées pour recycler les matériaux trop nocifs pour l’environnement, comme le polystyrène. L’équipe crée de cette manière des objets d’intérieur comme des boîtes à mouchoirs, des porte-savons… Avec comme objectif final de créer tous les objets qui habilleront les chambres de leur prochain hôtel encore en construction ! Devant ce projet pharamineux qui se réalise dans ce mini atelier, nous restons sans voix.
L’autre objectif de ce laboratoire est de montrer qu’on a la capacité de faire des choses de nos mains, qu’on peut recycler des bouchons en plastique nous-mêmes, qu’on peut transformer des matériaux pour leur donner une seconde vie.
Avec differentes écoles de la région dont la Green School, Potatoe Head organise très régulièrement des ateliers pour sensibiliser aux problématiques écologiques et expérimenter la création « Do It Yourself ».
Ils.elles ont bien compris que sensibiliser discrètement leur clients adultes étaient une chose mais que le futur se trouvait chez les jeunes générations et qu’il était grand temps de leur montrer une nouvelle manière de faire.
Notre visite dans ce Beach club nous a de nouveau prouvé qu’il était possible de créer un projet durable à n’importe quelle échelle et pour n’importe quel public. Au premier abord, nous étions un peu sceptiques face à ce club au bord de la mer qui ne semblait pas répondre à nos critères habituels de durabilité. Mais Scott nous a montré que malgré l’absence de panneau lumineux « ici restaurant zéro déchet », la machine durabilité était bien lancée chez Potato Head. On espère qu’elle inspira les clubs alentours.
Imaji Studio, expérimentations et mode durable - Tisseuses d'idées
[…] de notre périple indonésien avec Laura et Morgane, que nous vous avons déjà présenté dans l’article sur Ijen, et à première vue, c’est un des endroits au monde qui semble le moins nous ressembler. […]